Le nudge est une technique bien connue fondée sur l’incitation à certains comportements. Très utilisée en marketing ou en politique, elle commence désormais à être regardée de très près par les managers, qui y voient une alternative au bâton et à la carotte et un levier d’engagement fort de leurs équipes.
Inciter plutôt que convaincre
Vous avez peut-être déjà aperçu, au détour d’une rue, une boîte en plastique avec deux compartiments remplis de cigarettes usagées, étiquetés « pain au chocolat » pour l’un, « chocolatine », pour l’autre – ou encore « Ronaldo » et « Messi »… Peut-être même avez-vous décidé de voter en jetant votre mégot dans le bon compartiment. Vous avez alors été réceptif à une technique connue sous le nom de « nudge », ou « coup de pouce » en anglais. Théorisée par différents travaux d'économie comportementale et de psychologie cognitive depuis les années 1970, le nudge part du principe que tout être humain, quel que soit son niveau d’éducation ou d’intelligence, se comporte avant tout de manière irrationnelle, influencé par un ensemble de biais cognitifs qui le poussent à agir selon des schémas stéréotypiques simples. C’est en tout cas le postulat de Richard H. Thaler, récompensé par le Nobel d'économie en 2017, et l’un des papes du nudge. Plutôt que de le contraindre ou de lui exposer un argumentaire rationnel, le nudge incite l’usager à se comporter d’une certaine manière. De la SNCF ayant remplacé « Sens interdit » par « Voie sans issue » (résultat : 50% en moins de mauvaise utilisation des souterrains) à la mouche dessinée au fond de l’urinoir pour inciter les hommes à mieux viser (réduisant les frais de nettoyage de 80%), en passant par les escaliers-pianos ou les affichettes avec le nombre de calories perdues à chaque montée d'escaliers, engageant les usagers à faire plus d’exercice : les possibilités d’application sont infinies, et les résultats plutôt bluffants.
Proposer les bons choix pour le salarié et pour l’entreprise
En deux mots, le nudge incite donc à un changement de comportement sans contrainte ni sanction. Cette approche pragmatique a été adoptée par les professionnels du marketing, mais aussi par les équipes de David Cameron ou Barack Obama, qui ont mis en place des nudge units chargées de réfléchir à des actions poussant les citoyens à prendre les bonnes décisions en matière de nutrition, de santé, d’écologie… Aujourd’hui, les RH et les managers s’emparent de cette notion. L’objectif : proposer aux collaborateurs d’agir dans un sens positif pour eux et pour leur entreprise. « Beaucoup d'entreprises affirment placer l'homme au cœur de leur organisation. Dans les faits, les politiques RH sont encore bien souvent fondées sur le principe de la carotte et du bâton. Or, les facteurs d'engagements au travail vont bien au-delà de cette approche simpliste. Pire, elle peut même dans bien des cas freiner la motivation », affirme Eric Singler, directeur général délégué de BVA Group et auteur du Nudge management, comment renforcer la performance et le bien-être avec les sciences comportementales (Ed. Pearson). Si ses détracteurs y voient une forme de manipulation, le principe même du nudge est pourtant de faire en sorte que la décision vienne du salarié lui-même, et non d’un ordre ou d’une contrainte, afin d’en renforcer l’efficacité. La notion de libre-arbitre joue donc un rôle clé dans la réussite du nudge, d’où l’appellation de « paternalisme libertarien » adoptée par Richard H. Thaler lui-même. « Tout l'enjeu pour les organisations est de créer un environnement physique -bureaux, salles de repos- et psychologique -incentives, management bienveillant...- qui va inciter les salariés à se comporter différemment dans leurs intérêts comme dans celui de l'entreprise », explique Eric Singler. Pour cela, plusieurs types d’actions peuvent être mises en place. Il peut s’agir de proposer des choix par défaut (imprimante configurée sur « noir et blanc »), d’afficher les bénéfices d’une action plutôt que de l’imposer, ou encore de mettre en place un cadre et des espaces favorisant le travail d’équipe. Avec, en filigrane, une ambition globale : renforcer l’engagement des collaborateurs au travail !